RATZINGER PROTESTANT A 99%
par M. l’abbé Francesco Ricossa
Institut Mater Boni Consilii


C’est Cullmann qui parle par la bouche de Ratzinger
Mais qui est donc Cullmann ?
La conférence aux vaudois
L’œcuménisme
La Papauté: “l’obstacle majeur à l’œcuménisme”
Fin ultime : l’unité de l’Eglise
Que sera l’Eglise du futur ?
L’unité dans la diversité
Retour à l’essentiel
Purification réciproque
Conclusion : Pie XI juge Ratzinger


Nul autre que les spécialistes n’y aurait prêté attention, si le mensuel “30 jours” et l’hebdomadaire “Il Sabato”, revues liées au mouvement italien Comunione e Liberazione ne lui avaient donné, à juste titre, cette importance.

Je veux parler de l’intervention du “Cardinal Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi”, Joseph Ratzinger, le 29 janvier 1993, à Rome, au Centre Evangélique de Culture de la communauté vaudoise locale.

Le texte intégral des interventions de Ratzinger et du professeur vaudois Paolo Ricca est publié dans la revue “30 jours” n° 2, février 93, sous le titre rédactionnel (mais significatif) de “Ratzinger, le préfet œcuménique”.

On trouvera un complément indispensable à cette lecture dans le numéro suivant de ce mensuel (mars 93, n° 3), sous le titre rédactionnel non moins significatif : “Le fils de Luther et le Cardinal”. Il s’agit ici de l’entrevue accordée par le théologien luthérien Oscar Cullmann à l’hebdomadaire italien “Il Sabato” (n° 8, 20 février 1993, pp. 61-63).

Voici, pour les lecteurs de “Sodalitium” un résumé des idées du “Cardinal” Ratzinger (c’est par lui que Mgr Guérard des Lauriers a eu l’honneur d’être “excommunié”), idées sur l’Eglise et l’œcuménisme. Le premier venu est à même de vérifier mes sources dans les revues citées ci-dessus ; à même également de juger si Ratzinger est encore catholique ou bien, comme il apparaît manifeste, s’il ne l’est plus.

 

C’est Cullmann qui parle par la bouche de Ratzinger

Lorsque le Pape Saint Léon le Grand, par l’intermédiaire de ses légats, intervint au Concile de Chalcédoine, les Pères du Concile déclarèrent : “C’est Pierre qui parle par la bouche de Léon”.

Ce sont les vaudois qui parlent par la bouche de Ratzinger, est-on tenté de dire lorsqu’on lit l’intervention de Ratzinger chez les vaudois. Les paroles sont de Ratzinger, les idées de Cullmann. Aussi ne faut-il pas s’étonner de ce que les vaudois “soient d’accord à 99 %, pour ne pas dire à 100 %” (Ricca, “30 jours”, p. 69) avec Ratzinger.

 

Mais qui est donc Cullmann ?

Cullmann est né en 1902 à Strasbourg, patrie du réformateur protestant Bucer dont il se réclame volontiers (“30 jours, éd. fr. mars 93, p. 12). Alsacien, il voit là un “fait providentiel” : en Alsace, en effet, la population est mi-catholique mi-protestante.

Il étudie la théologie “sous la direction de Loisy à Paris” (Ardusso. Ferreti. Pastore, Perone. La Teologia contemporanea. Marietti 1980, p. 108). Certes l’exégète moderniste et excommunié ne fait pas un bon maître. Mais Bultmann est pire encore : c’est devant lui, “le grand démythificateur des Evangiles” (“30 jours” éd. fr., mars 93, p. 13) que Cullmann soutient sa thèse sur la “Formgeschichte” (idem p. 13). Par la suite ils se séparent “radicalement” car Bultmann interprète la Bible au moyen de la philosophie (existentialiste) tandis que Cullmann n’accepte aucune médiation. Ce dernier n’abandonne pas pour autant l’approche protestante des Ecritures, ni “la méthode de l’histoire des formes” (Formgeschichte Methode) de Bultmann, selon laquelle la “tâche de l’exégète consiste à découvrir le noyau essentiel de la Bible : Cullmann le trouve dans l’histoire du salut” (Ardusso, op. cit. p. 110).

Cullmann a enseigné, entre autres, à la Faculté (libre) de théologie protestante de Paris (1948-1972) et à la faculté théologique vaudoise de Rome. Il a participé au Concile Vatican II en tant qu’observateur et Paul VI en parlait comme de l’“un de ses meilleurs amis” (“30 jours”, n° 3 p. 12). “Durant Vatican II Cullmann, hôte personnel du Secrétariat pour l’unité des Chrétiens, contribuait à déterminer l’orientation biblique, christocentrique et historique de la théologie conciliaire (...) ; plus récemment Cullmann a proposé un modèle de ‘communauté d’Eglise’ dans son livre “Unité par la diversité” (Brescia 1988), modèle dont Ratzinger a justement fait l’éloge dans son intervention, le 29 janvier dernier, à l’église vaudoise de Rome” (Il Sabato p. 62).

C’est pendant le Concile que Cullmann fait la connaissance de Ratzinger ; il le considère comme “le meilleur parmi les théologiens experts, les spécialistes” (...). Avec “une réputation de progressiste avancé” (“30 jours”, mars 93, p. 13). Dès lors une correspondance s’établit entre eux, d’abord sur les problèmes d’exégèse ; ensuite - comme le déclare Cullmann - « la correspondance s’est renforcée, spécialement à propos de ma proposition de modèle (...) d’“unité par la diversité”. Une proposition que le cardinal a appréciée en privé et en public, nous l’avons déjà dit » (“30 jours”, n° 3, p. 13).

Cullmann est particulièrement content d’une lettre où Ratzinger lui écrit “avoir toujours appris” à travers ses travaux “même lorsqu’il n’était pas d’accord”. Et Cullmann de commenter : “Unis dans la diversité” (“30 jours” n° 3, p. 13).

“L’œuvre de Cullmann (...), compte parmi celles qui ont le plus contribué au dialogue entre catholiques et protestants”, (Ardusso, op. cit., p.112) même s’il demeure fermement attaché à l’hérésie, niant explicitement l’infaillibilité de l’Eglise Catholique et le primat de juridiction de Pierre et de ses successeurs (cf. Ardusso, op. cit., p. 112) ; “30 jours”, n° 3, p. 12). Un pont, par conséquent, entre catholiques et protestants. Pour faire passer les catholiques au protestantisme (tout en leur faisant croire, par-dessus le marché, qu’ils sont restés catholiques ; “unis” oui, mais... “dans la diversité” !).

 

La conférence aux vaudois

Ayant enseigné à la faculté vaudoise de théologie de Rome, Oscar Cullmann connaît bien les vaudois installés dans cette ville. C’est peut-être bien lui qui les a proposés à son “disciple” Ratzinger comme bon auditoire auquel exposer et lancer leurs idées communes.

L’entrevue, le 29 janvier, de Ratzinger avec le professeur Ricca (protestant vaudois) portait sur un double thème : d’abord et surtout, l’œcuménisme en général et la Papauté ; puis, le témoignage. Pour être plus précis encore : quelle solution œcuménique apporter à la question de la Papauté ? Comment relancer l’œcuménisme en crise ? Comment donner un témoignage commun ?

Je ne pense pas trahir la pensée de Ratzinger en la résumant par les points suivants, quitte à les commenter plus amplement ensuite :

1) L’œcuménisme est une nécessité fondamentale, indiscutable.

2) La Papauté en est la pierre d’achoppement.

3) L’œcuménisme a une fin ultime : “l’unité des églises dans l’Eglise”.

4) Cette fin ultime se réalisera sous une forme encore inconnue.

5) L’œcuménisme a également une fin proche, “une étape intermédiaire” dont le modèle est “l’unité dans la diversité” de Cullmann.

6) Cette étape intermédiaire se réalise au moyen d’un continuel “retour à l’essentiel”...

7) ...favorisé par une purification réciproque des églises.

 

L’œcuménisme

“L’œcuménisme est irréversible” aime à répéter Karol Wojtyla. Joseph Ratzinger va plus loin : “Dieu est le premier agent de la cause œcuménique” et “l’œcuménisme est avant tout une attitude fondamentale, une façon de vivre le christianisme. Ce n’est pas un secteur particulier, à côté d’autres secteurs. Le désir d’unité, l’engagement en faveur de l’unité appartient à la structure du même acte de foi car Jésus-Christ est venu pour réunir les fils de Dieu qui étaient dispersés”. (“30 jours”, éd. fr. février 93, p. 68). “L’œcuménisme” (ou “réunion des Chrétiens”, Pie XI) n’est pas conçu comme un “retour des dissidents à la seule véritable Eglise du Christ, puisqu’ils ont eu jadis le malheur de s’en séparer” (Pie XI) Mortalium Animos, Lettre Enc. du 6/I/1928 ; Didasco 1980 p. 29) ; ce n’est pas non plus une méthode ou une initiative parmi d’autres de l’activité de l’Eglise. C’est le fondement de la vie chrétienne et l’élément constitutif de l’acte de foi lui-même. Pour Ratzinger on ne peut être fidèle sans être œcuméniste ; pour Pie XI on ne peut être fidèle si on est œcuméniste : “se solidariser des partisans et des propagateurs de pareilles doctrines, c’est s’éloigner complètement de la religion divinement révélée” (Pie XI, Mortalium Animos, p. 9).

Avec beaucoup de lucidité le vaudois Ricca expose le problème (sans que Ratzinger le contredise) : “(...) aujourd’hui la crise de l’œcuménisme tient essentiellement au fait que les églises n’ont pas assez changé à cause de l’œcuménisme (...) Car l’œcuménisme réclame assurément, avec la patience dont parlait le cardinal Ratzinger, des changements profonds. A un certain point : ou c’est l’église qui change, ou c’est l’œcuménisme qui entre en crise. (...) On aura compris que ce discours vaut pour toutes les églises (“30 jours”, op. cit., p. 71). En somme, ou bien c’est l’Eglise qui périt, et l’œcuménisme vit ; ou bien c’est l’Eglise qui vit et l’œcuménisme périt (car pour l’Eglise, changer substantiellement revient à périr). Or l’œcuménisme est irréversible : donc l’“Eglise” (telle qu’elle est aujourd’hui, telle qu’elle était avant le Concile surtout) doit périr. D’où la question de la Papauté : ou changer avec l’Eglise ou périr avec elle.

 

La Papauté: “l’obstacle majeur à l’œcuménisme”

Paul VI dixit. Et l’hérétique Ricca le rappelle avec complaisance : “La Papauté, on le sait, est un nœud crucial de la question œcuménique, car, d’un côté elle fonde l’unité catholique et de l’autre, pour m’exprimer un peu brutalement, elle empêche l’unité chrétienne [lire : l’œcuménisme, n.d.r.]. Cela a été reconnu très courageusement, je dois le dire, par le Pape Paul VI, dans un discours de l’année 1967, discours où il a dit justement (je crois que c’est le seul Pape à l’avoir dit), que la Papauté est le plus grand obstacle à l’œcuménisme. Un discours très noble [c’est un hérétique qui parle ! n.d.r.] non seulement à cause de ce propos, mais dans son ensemble. Nous nous trouvons donc, avec la Papauté, devant une “véritable impasse” (“30 jours”, op. cit., p. 70). Si, par conséquent, un dogme de Foi (Ricca est le seul à rappeler qu’il s’agit d’un dogme) qui “est de surcroît le fondement de l’unité catholique”, est un obstacle, l’unique obstacle à l’œcuménisme, Paul VI, Ratzinger et nous tous devrions en conclure : l’œcuménisme doit périr. Car il est impossible qu’une vérité révélée par Jésus-Christ pour fonder l’unité voulue par Jésus-Christ puisse être l’obstacle… à l’unité ! [En fait la Papauté n’est pas un obstacle, mais l’unique moyen pour avoir part à l’unité de l’unique Eglise : “Or, dans cette unique Eglise du Christ, personne ne se trouve, personne ne demeure si, par son obéissance, il ne reconnaît et n’accepte l’autorité et le pouvoir de Pierre et de ses légitimes successeurs”(Pie XI, Mortalium Animos, pp. 30-31)].

Ratzinger le sait bien, mais il ne lui est pas possible de parler librement comme son “collègue” (c’est ainsi qu’il qualifie Ricca).

C’est pourquoi il commence par s’esquiver : « Je pense en effet que la Papauté est sans doute le symptôme le plus palpable de nos problèmes, mais que ce problème ne peut être bien interprété que si on le replace dans un contexte plus large. C’est pourquoi je pense que, si on l’aborde immédiatement [comme il était prévu au programme] ce problème n’offre pas facilement une issue (“30 joursop. cit., p. 66) ». En somme, si on parle de Vatican I, l’utopie œcuménique est mort-née, les équivoques sont dissipées, Cullmann lui-même ne serait plus d’accord, les véritables catholiques comprendraient la manœuvre.

Alors on tourne autour du pot et on lance la formule de Cullmann : “Unité par la diversité” (nous y reviendrons).

Mais finalement il faut bien en arriver au problème de la Papauté. Que propose alors Ratzinger ? Pas le primat de juridiction que la Foi attribue au Pape, évidemment.

“Selon notre foi” explique Ratzinger, “le ministère de l’unité est confié à Pierre et à ses successeurs” (“30 jours”, p. 68). Mais en quoi consiste ce “ministère de l’unité ?” Ratzinger ne le dit pas. Pour l’Eglise il consiste dans le primat de juridiction (autorité) du Pape sur tous les simples fidèles.

Pour Cullmann, il consisterait au maximum (quelle bonté de sa part !) en un primat d’honneur (ce qui est une hérésie : DS 2593) : “Je considère que le ministère de Pierre est un charisme de l’Eglise catholique, dont nous aussi protestants devons tirer des enseignements” déclare-t-il (“30 jours” éd. fr., mars 93, p. 12) mais il poursuit : « Le Pape est évêque de Rome et en tant que tel on pourrait lui concéder une présidence dans la “communauté des Eglises” que j’ai proposée. Personnellement, je le verrais bien dans le rôle de garant de l’unité. On pourrait l’accepter s’il n’avait pas juridiction sur toute la chrétienté mais un primat d’honneur » (“30 jours”, éd. fr., mars 93, p. 12).

Pour Ricca, il y a trois possibilités : “Ou bien la Papauté reste et restera (…) plus ou moins ce qu’elle est aujourd’hui (…) et nous devons alors penser que l’unité, précisément, sera un don final qui nous sera accordé quand Jésus-Christ reviendra [Autrement dit : “Soumis au Pape, nous ? Jamais au grand jamais !”, n.d.r.]. La seconde possibilité, c’est que la Papauté change. Change en ce que nous pourrions appeler une sorte de reconversion œcuménique de la Papauté. (...) En simplifiant : jusqu’à présent, j’ai été au service de l’unité catholique ; à partir de maintenant, je me mets au service de l’unité chrétienne (...) [Pape = président d’une nouvelle église œcuménique, n.d.r.].

“La troisième hypothèse, en revanche, est la suivante : le Pape reste ce qu’il est, mais ne se propose pas comme centre et pivot de l’unité chrétienne, mais simplement comme centre de l’unité catholique. (...) Les églises pourraient procéder ainsi, se reconnaissant réciproquement comme églises de Jésus-Christ réellement unies entre elles et réellement différentes entre elles, se donnant périodiquement rendez-vous à un Concile vraiment universel (...)” [Pape = chef d’une église chrétienne parmi d’autres unies en un conseil œcuménique, n.d.r.] (“30 jours”, éd. fr., p. 70-71).

Pour Ratzinger, en quoi consiste le rôle du Pape ? Je l’ai déjà dit : Ratzinger se tait, ou plutôt il ne réaffirme pas la foi catholique (première hypothèse de Ricca) et laisse entrevoir que la troisième hypothèse pourrait être l’étape intermédiaire et la seconde, l’étape finale. Pour l’instant, il rappelle que “les églises orthodoxes” (hérétiques et schismatiques, n.d.r.) ne devraient pas changer beaucoup à leur organisation interne, presque rien, en cas d’unité avec Rome” (“30 jours”, fév. 93 éd. fr., p. 68) et “qu’en substance”, ceci “vaut non seulement pour les églises orthodoxes mais aussi pour celles nées de la Réforme” (“30 jours”, fév. 93, p. 69) ; il a même étudié, avec des amis luthériens divers modèles possibles d’“Ecclesia Catholica confessionis augustanæ” (“Eglise Catholique de la confession d’Augsbourg” qui suivrait, autrement dit, les hérésies protestantes de la “Confession d’Augsbourg”, sorte de “credo” protestant présenté par l’hérésiarque Melanchton à Charles-Quint) (cf. “30 jours”, fév. 93, p. 68).

N’y a-t-il pas là des ressemblances avec les propositions (hérétiques) de Cullmann et de Ricca (seconde version) ? Nous aurions une Eglise présidée par le Pape, avec une branche “orthodoxe” qui demeure “orthodoxe” et une protestante qui reste protestante. Par ailleurs, pour Ratzinger, les “orthodoxes” (et, mutatis mutandis, les protestants) “ont une façon différente de garantir l’unité et la stabilité de la foi commune, une façon différente que celle que nous avons, nous, dans l’Eglise catholique d’Occident” (c’est-à-dire, pour les “orthodoxes” liturgie et monachisme) (“30 jours” fév. 93, p. 68).

Or, comment ne pas voir que la liturgie et le monachisme des “orthodoxes” (tout comme la Bible chez les protestants) ont été absolument insuffisants pour garantir l’unité et la Foi ?

En effet, nonobstant la liturgie, le monachisme et la Bible, orthodoxes et protestants n’en sont pas moins schismatiques (sans unité) et hérétiques (sans foi) ! Vouloir réduire les dogmes de foi et ce qui les préserve, c’est-à-dire la condamnation de l’erreur (institutionnalisée chez les catholiques sous la forme du Saint-Office dont le Pape est le Préfet) non à des caractéristiques de l’Eglise Catholique (= universelle), mais à des particularités d’un rameau occidental (et romain) de l’Eglise, voilà qui est aberrant. Et certes ce ne sont pas les citations du théologien “orthodoxe” Meyendorff qui donnent au “préfet œcuménique” un certificat de catholicité (lui qui “critique l’universalisme sous sa forme romaine, mais critique aussi, pour reprendre son expression, le régionalisme tel qu’il s’est formé au cours de l’histoire dans les églises “orthodoxes” (Ratzinger “30 jours”, mars 93, p. 68). Au fond c’est l’aberration de Ricca que propose à son tour Meyendorff : les églises, toutes les églises, sans excepter l’Eglise Catholique, doivent changer profondément afin d’assurer l’œcuménisme.

En somme, Pie XI avait mis le doigt dans la plaie lorsqu’il écrivait (et l’on pourrait croire qu’il parlait de Cullmann) : “Il en est, toutefois, qui affirment et concèdent que le protestantisme entre autres a rejeté trop inconsidérément certains dogmes de foi et plusieurs pratiques du culte extérieur (...) que l’Eglise Romaine, au contraire, conserve encore. Ils se hâtent, d’ailleurs, d’ajouter que cette Eglise Romaine, elle aussi (...) a corrompu la religion primitive en lui ajoutant certaines doctrines moins étrangères que contraires à l’Evangile, parmi ces doctrines, ils citent (...) celle de la primauté de juridiction attribuée à Pierre et à ses successeurs sur le siège romain. (...) Il en est, assez peu il est vrai, qui concèdent au Pontife romain soit une primauté honorifique soit une certaine juridiction ou pouvoir qui, estiment-ils toutefois, découle non du droit divin mais, d’une certaine façon, du consentement des fidèles ; d’autres vont jusqu’à désirer que leurs fameux congrès, qu’on pourrait qualifier de bariolés, soient présidés par le Pontife lui-même. Pourtant, si on peut trouver des non-catholiques, d’ailleurs nombreux, qui prêchent à pleine voix une communion fraternelle dans le Christ Jésus, on n’en trouverait pas à qui vienne la pensée de se soumettre et d’obéir au Vicaire de Jésus-Christ” (Pie XI, Mortalium Animos, pp. 17-19). On peut le constater, depuis 1928 les Protestants n’ont pas fait un seul pas en avant tandis qu’il nous a fallu, à nous catholiques, voir bien pire que la présence du “Pape” aux “congrès bariolés” des non-catholiques.

 

Fin ultime : l’unité de l’Eglise

Mais revenons à Ratzinger. Pour éviter d’aborder le problème de la Papauté, il entame son discours par l’œcuménisme. Dans celui-ci “la finalité ultime, c’est, évidemment, l’unité des églises dans l’Eglise unique” : (“30 jours”, p. 66). C’est “l’unité de l’Eglise de Dieu à laquelle nous tendons” (“30 jours”, n° 2, p. 67). La fin vers laquelle Ratzinger veut nous diriger est erronée dès le départ. Si l’“Eglise est unique”, qu’a-t-on à faire “des églises” ? Cette “Eglise unique” est-elle oui ou non l’Eglise Catholique ? Ou bien l’Eglise Catholique est-elle une de ces “églises” qui doivent s’unir (toujours davantage) dans l’avenir pour former “l’Eglise unique” ? De deux choses l’une : ou bien Eglise unique = Eglise catholique ; la fin est déjà atteinte, l’Eglise est déjà “une”, il ne reste plus à l’œcuménisme qu’un objectif à poursuivre, l’abjuration par les hérétiques et schismatiques de leurs erreurs, et les “églises” ne sont que des sectes et des chapelles qui ne doivent pas s’unir mais disparaître.

Ou bien Eglise unique = union plus ou moins étroite des “églises” plus ou moins différentes, et voilà Ratzinger qui nous administre le poison de l’erreur condamnée par Pie XI dans “Mortalium Animos” : « C’est ici l’occasion d’exposer et de réfuter la fausse théorie dont visiblement dépend toute cette question et d’où partent les multiples activités concertées des non-catholiques en vue de confédérer, comme nous l’avons dit, les églises chrétiennes.

« Les auteurs de ce projet ont pris l’habitude d’alléguer, presque à l’infini, les paroles du Christ : “Qu’ils soient un... il n’y aura qu’un bercail et qu’un pasteur” (Jean XVII, 21; X, 16) mais en voulant que, par ces mots soient signifiés un vœu et une prière du Christ Jésus qui, jusqu’à ce jour, auraient été privés de résultat. Ils soutiennent en effet, que l’unité de foi et de gouvernement, caractéristique de la véritable et unique Eglise du Christ, n’a presque jamais existé jusqu’à présent et n’existe pas aujourd’hui ; que cette unité peut, certes, être souhaitée et quelle sera peut-être un jour établie par une entente commune des volontés, mais qu’il faut entre-temps la tenir pour une sorte de rêve. Ils ajoutent que l’Eglise en elle-même, de sa nature, est divisée en parties, c’est-à-dire constituée de très nombreuses églises ou communautés particulières, encore séparées, qui, malgré quelques principes communs de doctrine, diffèrent pour tout le reste ; que chaque église jouit de droits parfaitement identiques » (cf. Pie XI “Mortalium Animos”, Lettre encyclique du 6 janvier 1928 contre l’œcuménisme; Didasco. A. D. 1980).

Que le “Préfet œcuménique” s’explique ! L’unique Eglise du Christ existe-t-elle déjà, oui ou non ? Est-ce l’Eglise Catholique, oui ou non ?

 

Que sera l’Eglise du futur ?

Hélas, Ratzinger ne s’est déjà que trop expliqué ! Le but ultime (l’union des églises dans l’Eglise) est pour l’avenir, un avenir lointain et… inconnu.

“Tel est donc le but, la finalité ultime de tout travail œcuménique : arriver à l’unité réelle de l’Eglise [serait-elle inexistante à l’heure actuelle ? Une simple apparence ? Irréelle ? n.d.r.], laquelle implique une multiplicité de formes que, maintenant, nous ne pouvons pas encore définir” (“30 jours”, n° 2, p. 66). Et il dit ailleurs : “Pour le moment, je n’oserais pas suggérer pour l’avenir des réalisations concrètes, possibles et pensables” (“30 jours”, n° 2, p. 68).

En bon protestant Ricca a beaucoup apprécié ces expressions de Ratzinger. Elles coïncident en effet avec sa propre pensée. Après avoir rappelé les huit siècles de lutte entre vaudois et catholiques, Ricca ajoute : alors “Pourquoi sommes-nous ensemble ? Nous sommes ensemble parce que, s’il est vrai que nous savons bien qui nous sommes, et assez bien ce que nous avons été, nous ne savons pas encore, en revanche, qui nous serons. Et la réserve même du cardinal à l’égard du fait de proposer des modèles, l’aveu précisément d’un non-savoir est justement cette attitude qui, au fond, nous unit” (“30 jours”, n° 2, p. 69). Unis, vaudois et ceux de Vatican II, dans le fait de ne pas savoir comment sera l’Eglise ! (Parce que, comme l’explique Ricca, ou les églises changent, ou l’œcuménisme meurt). Qu’un protestant se reconnaisse dans l’idée d’une Eglise future inconnue, passe encore. Mais un catholique ? Comment concilier tout cela avec l’indéfectibilité de l’Eglise ? Quel autre modèle d’Eglise peut être proposé aux protestants sinon celui qui a été voulu par le Christ et fondé sur Pierre ? Comment un “cardinal” peut-il ne pas savoir ce que doit être l’Eglise, alors que le Christ l’a fondée voilà deux milles ans ?

Ratzinger semble avoir de l’Eglise la conception que Teilhard a de Dieu : l'Eglise n’existe pas... encore ; elle est en évolution... vers le point Oméga, but final de l’œcuménisme.

 

L’unité dans la diversité

L’Eglise sera donc une (dans la multiplicité). Ceci dans l’avenir. Quand ? Dieu seul le sait. Et d’ici là ? Provisoirement nous avons un “temps intermédiaire”, (“30 jours”, n° 2, p. 66) : “unité dans la diversité”. Ratzinger explique : « On pourrait définir ce modèle par la formule bien connue de la “diversité réconciliée”, et sur ce point je me sens très proche des idées formulées par mon cher collègue Oscar Cullmann » (“30 jours”, n° 2, p. 67). Ce qu’est le modèle-Cullmann, nous l’avons déjà vu. Comment le présente Ratzinger, nous allons le voir maintenant. Il suffit de dire que Ricca l’a compris à demi-mot ; “Avant tout - répond-il - je désire déclarer que je suis d’accord à 99 % pour ne pas dire à 100 %, avec ce que vient de dire le cardinal Ratzinger. Je me réjouis et je me félicite de ses propos. Sur cette base, on peut construire (l’idée même de diversité réconciliée est, comme vous le savez, d’origine luthérienne) (“30 jours”, n° 2, p. 69). Ratzinger veut donc nous amener à une église pluriforme, encore indéterminée, à partir de fondements luthériens.

 

Retour à l’essentiel

Mais comment réaliser concrètement cette “diversité réconciliée” ? Ratzinger nous prévient, cela “ne veut pas dire qu’on se contente de la situation que nous avons”, que l’on se résigne statiquement à être différents (p. 68).

Il faut au contraire faire preuve de dynamisme et persévérer « dans la démarche commune (...) dans l’humilité qui respecte l’autre, même quand la compatibilité en doctrine ou pratique de l’Eglise n’est pas encore obtenue ; elle consiste dans la disponibilité à apprendre de l’autre et à se laisser corriger par l’autre, dans la joie et la gratitude pour les richesses spirituelles de l’autre, dans une “essentialisation” permanente de notre foi, de la doctrine et de la pratique qui doivent toujours être purifiées et nourries par l’Ecriture, les yeux fixés sur le Seigneur... » (“30 jours”, n° 2, pp. 67-68).

Que de contresens en si peu de lignes !

Comment avoir une démarche commune si l’on pense, et si l’on agit diversement ?

Comment la “Chaire de Vérité”, l’Eglise du Christ, pourrait-elle apprendre (une chose qu’elle ne connaîtrait pas encore) et se faire corriger ni plus ni moins par les hérétiques ? Comment peut-on “respecter” l’hérésie et le schisme, autrement dit le péché ? car c’est en tant qu’hérétiques et schismatiques que les sectes protestantes et “orthodoxes” se distinguent de nous.

Et enfin, que signifie “essentialisation” (permanente !) de la foi ? Cette idée est le point central de la pensée de Ratzinger (et pas seulement de lui) « la recherche du wesen, de l’essence du christianisme, est une recherche typique de la théologie allemande depuis plus d’un siècle. Voyez les œuvres de L. Feuberbach (1841), de A. Harnack (1900), de K. Adam (1924), de R. Guardini (1939), de M. Schmans (1947) et la récente proposition de K. Rahner concernant une formulation synthétique du message chrétien. Tout comme les tentatives mentionnées ci-dessus, la recherche de Ratzinger sur l’essence du christianisme porte manifestement l’empreinte du temps qui l’a vue naître, de ce temps désigné désormais le plus souvent comme “l’âge post-chrétien de la foi” ; cet âge est caractérisé non pas tant par la négation de telle ou telle autre vérité de foi, que par le fait que la foi dans son ensemble paraît avoir perdu de son mordant, perdu sa capacité d’interpréter le monde face à d’autres conceptions qui, à défaut d’autre chose, semblent dotées d’une plus grande efficacité opérationnelle » (Ardusso, op. cit., p. 457).

En réalité, toute tentative d’“essentialisation” de la foi risque de détruire la Foi elle-même. Contre les œcuménistes, Pie XI écrivait déjà : “De plus, quant aux vérités à croire, il est absolument illicite d’user de la distinction qu’il leur plaît d’introduire dans les dogmes de foi, entre ceux qui seraient fondamentaux et ceux qui seraient non fondamentaux, comme si les premiers devaient être reçus par tous tandis que les seconds pourraient être laissés comme matières libres à l’assentiment des fidèles : la vertu surnaturelle de foi a en effet pour objet formel l’autorité de Dieu révélant, autorité qui ne souffre aucune distinction de ce genre. C’est pourquoi tous les vrais disciples du Christ accordent au dogme de l’Immaculée Conception de la Mère de Dieu la même foi que, par exemple, au mystère de l’Auguste Trinité, et de même ils ne croient pas à l’Incarnation de Notre Seigneur autrement qu’au magistère infaillible du Pontife Romain dans le sens, bien entendu, qui a été défini par le Concile œcuménique du Vatican. Car, de la diversité et même du caractère récent des époques où, par un décret solennel, l’Eglise a sanctionné et défini ces vérités, il ne s’ensuit pas qu’elles n’ont pas la même certitude, qu’elles ne sont pas avec la même force imposées à notre foi : n’est-ce pas Dieu qui les a toutes révélées ?” (“Mortalium Animos”, pp. 25-27).

Ratzinger n’explique pas clairement ce qui serait l’essentiel de la foi, et ce qui serait “superstructure” (il serait essentiel “qu’elle [l’Eglise], se présente comme l’église de la foi totalement au service des hommes et débarrassée des superstructures qui obscurcissent la pureté de son visage”, selon Ardusso, op. cit., p. 458).

Cependant, Ratzinger conclut en précisant que pour ce qui concerne le mot “essentialisation” sa « pensée coïncide avec celle du professeur Ricca » (“30 jours”, n° 2, p. 72) « nous devons réellement retourner au centre, à l’essentiel ou, en d’autres termes : le problème central de notre temps, c’est l’absence de Dieu ; par conséquent le devoir prioritaire des chrétiens [catholiques et non catholiques, n.d.r.] c’est de témoigner du Dieu vivant » (“30 jours”, n° 2, p. 73). Evidemment, sur ce minimum que représente l’existence de Dieu, “la réalité du jugement et de la vie éternelle” (p. 73), les chrétiens de tous bords (ou presque) seront d’accord ; et cet “impératif” “unit” forcément, car “tous les chrétiens sont unis dans la foi de ce Dieu qui s’est révélé, incarné en Jésus-Christ” (“30 jours”, n° 2, p. 73). (Pour la condamnation de cette idée de témoignage commun, se reporter, toujours, à Mortalium Animos).

 

Purification réciproque

Mais comment “l’essentialisation” permanente intervient-elle sur le plan pratique ? (Congar l’appelait “ressourcement” - Ricca nous le rappelle).

Pour Ratzinger ce processus, positif, provient des autres “églises”. L’Eglise Catholique serait ainsi continuellement purifiée... par les sectes hérétiques. Voilà pourquoi, en attendant l’unité (multiforme), la diversité (réconciliée) est une bonne chose.

« “Oportet et hæreses esse” dit Saint Paul. Peut-être ne sommes-nous pas encore tous mûrs pour l’unité, peut-être avons-nous besoin de l’épine dans la chair, qui est l’autre dans son altérité, pour nous réveiller d’un christianisme incomplet, réducteur. Peut-être est-ce notre devoir d’être épine l’un pour l’autre. Et il existe un devoir de se laisser purifier et enrichir par l’autre. (...) Y compris au moment historique où Dieu ne nous accorde pas encore l’unité parfaite, reconnaissons l’autre, le frère chrétien, reconnaissons les églises sœurs, aimons la communauté de l’autre, voyons-nous ensemble dans un processus d’éducation divine où le Seigneur utilise les différentes communautés l’une pour l’autre, pour nous rendre capables et dignes de l’unité définitive» (“30 jours”, n° 2, p. 68).

Si l’on en croit Ratzinger, Dieu voudrait donc les “hérésies” (Il ne fait que les permettre, comme Il permet le mal) ; de même Dieu veut provisoirement les divisions, les différentes communautés afin qu’elles se perfectionnent l’une l’autre. L’Eglise Catholique serait par conséquent “réveillée”, “purifiée”, “enrichie” et non plus “incomplète” grâce aux sectes hérétiques dont se sert le Seigneur. Et vice-versa, l’Eglise Catholique jouerait un rôle analogue vis-à-vis des autres églises. Toutes dialectiquement en marche vers l’unité future encore indéterminée d’une Eglise inconnue qui doit résulter de ce processus.

On peut voir un modèle, rien qu’un modèle cependant, de cette Eglise future dans l’Eglise primitive qui était unie “dans les trois éléments fondamentaux : Ecriture Sainte, regula fidei, structure sacramentelle de l’Eglise” (“30 jours”, n° 2, p. 66) mais pour le reste très diverse. Pourtant n’était-elle pas unie également sous le magistère et le gouvernement du Pape ? Et, bien qu’avec ses diversités locales, ne professait-elle pas la même foi, ce qui n’est pas le cas avec les protestants et les orthodoxes ?

Si Ratzinger nous demande d’adhérer à une église future inconnue modelée sur une fausse église antique, c’est en réalité pour nous faire abandonner l’Eglise éternelle et immuable du Christ.

 

Conclusion : Pie XI juge Ratzinger

Si Ratzinger ne sait pas vers quel modèle futur vont ces églises “épine-dans-la-chair” qui s’essentialisent” l’une l’autre, Pie XI va le lui dire. C’est dans cette encyclique que Ratzinger lui-même osa déclarer conforme à Vatican II (!), dans “Mortalium Animos” que le Pape se prononce.

La théorie œcuménique, ou panchrétienne comme on disait alors, verse “par étape dans le naturalisme et l’athéisme” (“Mortalium Animos” p. 79) ; elle prépare “une fausse religion chrétienne, entièrement étrangère à l’unique Eglise du Christ” (p. 19) ; elle est la voie vers “la négligence de la religion ou indifférentisme et vers ce qu’on nomme le modernisme, c’est une bêtise, une énormité” (p. 25).

Mais ne rejetons pas toute la faute sur Ratzinger. Il n’est, lui, que le fidèle interprète de Vatican II, comme du reste Karol Wojtyla. Là se trouve le corps étranger à extraire, le corps étranger que les forces saines de l’Eglise, épouse du Christ, rejetteront indubitablement. Nous refusons, quant à nous, les élucubrations hétérodoxes (uni dans la diversité et divers dans l’unité) d’Oscar Cullmann et de son disciple Joseph Ratzinger. C’est à l’Eglise Catholique que nous voulons appartenir.